dimanche 22 avril 2012

Apprendre à apprendre, un enjeu pédagogique plus que jamais d’actualité

La transformation de la pédagogie de l’enseignement supérieur - Philippe Volle, directeur du Groupe ESIEA


Pour Philippe Volle, directeur général du groupe Esiea, la pédagogie doit aujourd’hui s’adapter aux nouvelles manières d’accéder au savoir, évoluer en même temps que les nouvelles technologies d’information et de communication et aider chacun à devenir un meilleur apprenant.

La pédagogie de l’enseignement supérieur, dont on débattait peu jusqu’ici, devient une préoccupation centrale, presque une urgence. Les initiatives foisonnent, les moyens s’organisent pour combler ce qui est parfois perçu comme un retard. Ainsi, Laurent Wauquiez, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, déclarait, lors de l’annonce des résultats de l’appel à projets IDEFI (Initiatives d’excellence en formations innovantes), que « Les IDEFI vont nous permettre de rattraper notre retard en matière de pédagogie vis-à-vis de certains pays comme le Canada ou l’Allemagne ». Les grandes écoles, depuis longtemps engagées dans l’innovation pédagogique, sont des acteurs majeurs de ce mouvement qui s’amplifie.

Un constat récurrent est celui du changement profond de la population étudiante. Les jeunes qui entrent dans l’enseignement supérieur, les digital natives, ne sont plus les mêmes que ceux qui les ont précédés. Ils ont besoin de sens et d’action pour s’engager dans un processus d’apprentissage, rejettent l’argument d’autorité et veulent savoir pourquoi ils apprennent. Ces étudiants sont impatients, prompts à changer de contexte et à retourner jouer… Ils nous envoient des signaux de plus en plus forts sur leur attente d’une évolution de la pédagogie qui leur est proposée.

Nos entreprises, elles, attendent des jeunes diplômés prêts pour l’action et l’innovation, aimant le concret, pensant système. Ces jeunes recrues doivent être rapidement opérationnelles et autonomes mais aussi capables de construire et de gérer leurs compétences dans la durée. Face aux mutations incessantes des produits/services et de l’environnement des entreprises, avoir « appris à apprendre » est une condition essentielle de leur employabilité. C’est aussi une condition de l’intelligence collective indispensable à l’entreprise.

La diffusion des technologies d’accès à l’information (ordinateur, tablette, smartphone...) a changé la donne de l’accès au savoir. Les apprenants zappeurs, multi-connectés, multi-tâches, n’accordent plus leur attention en totalité. En revanche, ils disposent de compétences nouvelles : ils s’organisent spontanément en équipes à distance en utilisant Skype, s’intègrent dans des communautés de pratique pour leurs jeux favoris, apprennent seuls à accompagner une chanson ou à résoudre un casse-tête par une vidéo sur YouTube… Les enseignants ne sont plus les seuls à même de transmettre le savoir, mais se trouvent en concurrence avec d’autres pôles d’attraction et d’autres sources, abondantes et faciles d’accès à tout moment et partout.

Nous devons alors changer de perspective : au lieu de lutter contre les nouveaux comportements et les difficultés liées à l’omniprésence de l’accès aux technologies (notamment en cours…), efforçons nous d’en faire des ressources au service de nouvelles manières d’apprendre dont nous serons les guides. Ainsi l’enjeu majeur n’est plus de transmettre le savoir, mais de créer pour nos élèves les situations leur permettant d’apprendre, en leur apportant l’accompagnement dont ils ont besoin.

Notre véritable responsabilité est d’aider chacun à devenir un meilleur apprenant, conscient, réflexif, qui sera capable de construire ses compétences en utilisant l’ensemble des ressources disponibles. Cette manière d’apprendre deviendra elle-même une compétence, indispensable pour des professionnels et des citoyens adaptables au changement.

C’est dans ce but que sont apparus de nouveaux systèmes pédagogiques, déjà mis en place par certaines écoles.

Ces systèmes :
  • sont fondés sur une approche par compétences : la finalité de l’apprentissage n’y est plus formulée en termes de savoirs à acquérir, mais de compétences à démontrer dans l’action ;
  • placent l’apprenant au centre du dispositif, en lui présentant un ensemble de ressources (contenus, activités, personnes, outils…) et en reliant les différentes expériences de la personne : formation, expériences en entreprise, vie privée ;
  • utilisent largement les pédagogies actives qui organisent l’activité d’apprentissage autour d’une réalisation significative ou de la résolution d’un problème, le plus souvent en équipe. Les connaissances et les savoir-faire sont acquis en fonction des besoins ;
  • favorisent le travail en groupe, la collaboration et l’apprentissage entre pairs ;
  • font du face à face pédagogique, dont l’impact peut être immense, un outil d’accompagnement et de maïeutique autant qu’un dispensateur de savoirs ; le pédagogue accompagne les étudiants dans l’utilisation des ressources à leur disposition en façonnant leur discernement ;
  • utilisent les technologies numériques pour construire des dispositifs mixtes présentiel/à distance, où l’accompagnement humain est central ;
  • développent une attitude réflexive : qu’ai-je appris ? comment ? que suis-je capable d’apprendre ? Souvent utilisée, la construction de portfolios électroniques rassemblant preuves d’apprentissage et réflexion sur celles-ci est en ce sens un outil particulièrement efficace.
Le mouvement enclenché conduira nécessairement à une transformation du rôle des enseignants, qui devront pour cela être formés et reconnus pour ces nouvelles compétences.

Cela ne viendra pas sans difficultés :
  • une tension entre ces approches et les valeurs traditionnelles des enseignants, notamment en termes de valorisation du savoir théorique et d’évaluation ;
  • une tension avec la recherche, pouvant aller jusqu’au conflit. Le poids donné à la recherche dans l’évaluation des écoles et la reconnaissance de leurs personnels ne les encourage pas à placer la pédagogie au cœur de leurs préoccupations ;
  • un problème économique de passage à l’échelle : les pédagogies actives et réflexives demandent un accompagnement important par des professionnels formés à cela.
Pour accompagner ce changement, il sera alors souhaitable que l’évaluation et le classement des établissements intègrent réellement cette dimension. Ne serait-il pas préférable qu’un jeune puisse intégrer dans ses critères de choix une information claire sur les éléments pédagogiques des formations auxquelles il postule, pour répondre à la question qui devrait être l’une des plus importantes : comment vais-je apprendre ? Car toute sa vie il pourra ou non valoriser ce capital premier : savoir apprendre. La pédagogie que nous mettons en œuvre doit être alignée sur cet objectif, sans compromis sur l’exigence d’excellence mais avec ce supplément de conscience de soi. [...]

parAn@é(son site)mercredi 18 avril 2012

http://www.educavox.fr/actualite/debats/Apprendre-a-apprendre-un-enjeu

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