dimanche 25 mars 2012

La mondialisation menace-t-elle notre identité ?


Que certaines pratiques importées par le biais de la mondialisation soient stupides, coûteuses et malsaines, qui oserait remettre cela en question ? Mais la mondialisation permet aussi aux hommes de s’enrichir, d’apprendre les uns des autres, et, élément souvent oublié, de vivre plus facilement ensemble : l’échange crée la tolérance et pacifie les relations entre les hommes.


La mondialisation, ce processus d’abaissement des obstacles étatiques aux échanges volontaires au-delà des frontières nationales, a permis une intégration, une interconnexion plus poussée et plus complexe du système d’échange global.

Le double problème moral – et politique – de justifier, premièrement, pourquoi une transaction devrait être libre à l’intérieur des frontières et non libre si elle est séparée par une frontière, et, deuxièmement, pourquoi il faudrait limiter un processus qui a globalement permis de faire reculer la pauvreté, est souvent contourné par les critiques de la mondialisation, qui mettent en avant l’argument selon lequel la mondialisation altère nos identités locales : elle casse la diversité du monde pour l’homogénéiser et en faire un monde « Mac Do ».

Moins de diversité ?

La mondialisation est un phénomène ancien, qui est à la source de l’essor des civilisations humaines : l’échange crée la valeur. Mais quid de la diversité ? Elle est fondamentale au dynamisme de la vie biologique comme à celui de la vie culturelle. Or, si l’échange entre civilisations ou « cultures » peut mener davantage de diversité à l’intérieur du groupe qui adopte des nouvelles pratiques, il conduit aussi du même coup à moins de diversité entregroupes qui s’empruntent mutuellement des pratiques. La diversité dans le groupe se paie donc au prix de l’homogénéisation entre groupes. Faut-il y voir une catastrophe ?

La question centrale (notamment pour un économiste pour qui la valeur est subjective) est : la diversité pour qui ?Un monde parfaitement morcelé, dans lequel les cultures ne communiquent pas, déploie sans doute une superbe diversité. À ceci près que personne n’en profite, puisque chacun est ignorant des pratiques des autres… Ladiversité n’y a donc aucune valeur. On pourrait alors arguer que la diversité doit être justement préservée pour que quelque spécialiste, intellectuel « observateur », puisse en profiter et en saisir toute la valeur. On voit tout de suite la dimension scandaleusement élitiste de cette proposition. La mondialisation, certes, génère des tendances à l’homogénéisation mais accroît du même coup la diversité éprouvée, expérimentée par tous les humains qui participent au processus.

Une atteinte à la pureté identitaire ?

Venons-en à l’argument connexe, contre la mondialisation : qu’elle détruit les identités culturelles. Se pose ici le problème de la définition de l’identité, comme entité collective. Qu’il y ait une dimension collective à la culture, bien sûr ; c’est même sa dimension première. L’identité elle, est individuelle. On pourrait évidemment nous rétorquer que l’on joue sur les mots. À ceci près que l’identité, une fois encore, n’est éprouvée que par l’individu. Chacun et chacune d’entre nous appartient à des « cercles » différents, du groupe d’échecs au club de football, en passant par l’école, la famille, le milieu professionnel. Et l’entrelacement de ces cercles nous permet de construire notre identité, non pas de manière subie, mais dans un processus dialectique d’acceptation, remise en question et repositionnement de notre part. L’individu se nourrit de la culture ambiante de ces divers cercles pour créer son identité.

L’identité n’est pas, tout comme la diversité, une espèce d’idéal théorique flottant dans le monde platonicien des idées. Elle doit être vécue. De ce point de vue l’identité collective est un faux concept. Les identités collectives sont forgées à coup de nationalisme ou de régionalisme, à coups de « baguette, béret, musette, église » ou de « djellaba, thé à la menthe, couscous, mosquée ». Ces « identités collectives » ne sont que le placage des frontières, artificielles, des États-nations pour créer « notre » culture, par opposition à « leur » culture : voilà unnationalisme identitaire. Cela pose le problème, ici encore, de qui décide de l’identité, dans ce cadre collectif. Évidemment on ne nie pas que dans telle ou telle région, certains traits culturels dominent : on se sent « Africain », « provençal », « chicanos » ; mais il n’y a pas à proprement parler d’identité collective clairement définie. Cela supposerait un « être collectif » qui absorberait les individualités.

La culture, est-elle « statique » ?

Cette question de l’authenticité est d’autant plus importante que la culture, comme l’identité individuelle, n’est pas statique. Elle a d’abord un formidable pouvoir d’absorption : les pâtes, symbole de la culture culinaire italienne sont chinoises ; le thé, emblème de l’Angleterre de 17h00 n’est pas britannique, ni davantage indien : il est lui aussi d’origine chinoise. La culture est en perpétuel mouvement du fait de ces interactions, innovations, hybridations. Elle est un exemple frappant des processus évolutionnistes. Comment alors, dans ce perpétuel fleuve culturel héraclitéen, proposer un « être de Parménide culturel » ?

Se pose ici encore la question de qui doit décider de ma culture. Au nom de ma culture provençale dois-je ignorer le kebab ? Jouer à la pétanque et pas au tennis ? Boire du pastis et pas de la bière ? Parce que je ne suis pas « occidental », dois-je refuser d’utiliser un téléphone portable ou de porter un jeans ? On le voit : c’est ici l’individu qui a la faculté de raison pour juger s’il ou elle peut intégrer des éléments culturels venus de l’extérieur de sa culture « prédéfinie » par la collectivité, en fonction de la valeur qu’il ou elle accorde à ces éléments extérieurs. Ce n’est ni au sociologue ni au touriste de juger si un Masaï peut se servir d’un cellulaire. Ce n’est pas à José Bové de décider si je dois manger ou pas un hamburger. Méfions-nous donc de ces jugements de valeur en apparence scientifiques et « évidents », mais qui participent en réalité d’une dictature intellectuelle.

Que certaines pratiques importées par le biais de la mondialisation soient stupides, coûteuses, malsaines etc., qui oserait remettre cela en question ? Le problème du respect des droits est une question séparée, même si elle est fondamentale. Mais la mondialisation permet d’abord aux hommes de s’enrichir, d’apprendre les uns des autres, et, élément souvent oublié, de vivre plus facilement ensemble : l’échange crée la tolérance, il pacifie les relations entre les hommes, il est la condition du cosmopolitanisme. Relisons Voltaire et Montesquieu.

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Cet article reprend des positions défendues par Emmanuel Martin lors d’une conférence sur « Mondialisation, culture et défis identitaires » à l’Université Hassan II de Casablanca le 15 mars 2012. Il synthétise dans une large mesure des positions que l’on trouve notamment dans les travaux de Tom Palmer ou de Mario Vargas Llosa :

Par Emmanuel Martin.

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